Applications prospectives
Ce paragraphe est une ébauche d’idées issues de l’analyse visuelle, dont la réalisation peut tenir autant de l’architecte immobilier que de l’architecte d’intérieur.
Il fait suite au premier article Signes visuels et Architecture, qu’il est plus clair de lire en premier.
Casser des angles
Les angles saillants sont en règle générale des angles droits, dont la fragilité aux chocs est avérée, lors des déménagements comme dans la vie quotidienne. L’avantage est l’adaptation au mobilier standard, dont la forme déroge peu au parallélépipède.
Les angles de murs cassent la lumière incidente, issue des fenêtres ou d’un éclairage artificiel zénithal ou latéral. Ils produisent des ombres franches mais massives, qui à leur tour projettent des angles ombre/lumière au sol ou sur les murs.
L’angle saillant, le « coin », est aussi perceptuellement agressif ; on s’y cogne d’ailleurs facilement. Ce signifié décroît avec la mesure angulaire. L’angle aigu est le plus négatif, heureusement rare, et l’on voit de plus en plus d’appartements dotés d’angles obtus, moins vifs.
Les graphologues (lire à ce sujet le premier volet de cet article) considèrent l’angle comme signifiant, de l’énergie jusqu’à la violence (APQ.1-721&722, CCN.1-128), et Kandinsky y voit un caractère acéré (aigu) devenant froid et dominé (droit) (WKY.1-1442&1443).
Mise en oeuvre
L’idée est de concevoir un angle de cloison qui limite ces effets indésirables. On peut le composer de deux quarts de cylindre assujettis l’un à l’autre formant une sorte de profilé. Les plaques de cloison viennent s’y encastrer (ce type de profilé cylindrique existe déjà pour les montages de stands en aluminium, mais bien sûr avec des courbures ‘utilitaires’, non signifiantes).
Avec des courbures plus ou moins larges, l’angle -qui n’en est plus un- devient colonne ou poteau, il ressemble à un tronc d’arbre -une idée de moulurage intéressante à mettre en oeuvre en associant une texture. La lumière incidente va s’atténuer au fur et à mesure, l’ombre projetée devient progressive au lieu d’agressive. Le lieu ainsi cloisonné gagne en perception visuelle sur plusieurs plans.
Angles droits
Point de vue perceptif, les angles droits ne sont évidemment pas naturels, au sens primitif du mot i.e. le monde naturel duquel nous sommes issus (voir à ce sujet ce qui s’écrit en psychologie évolutive sur http://lecerveau.mcgill.ca).
Dans cet optique, le système visuel perceptif de l’homme n’intègre-t-il pas la notion de perpendiculaire, car il est lui-même debout (homo erectus) comme l’essentiel du règne végétal, dans un monde horizontal : le sol, l’eau. La réaction à certaines illusions optiques (Hering, Poggendorf) semble montrer que le cerveau, perturbé par des segments de droite inclinés par rapport à d’autres, cherche à les « perpendiculariser ».
Ce point de vue est à référencer, mais il expliquerait que le principe du mur vertical, perpendiculaire au sol « naturel », donc l’angle droit du plan vertical, est acquis depuis longtemps. Ce qui est en question ici, ce sont les angles droits dans le plan horizontal, et donc la façon de construire.
Naturellement, le logis -la case, la grotte, la yourte, l’igloo, …- est grossièrement ou exactement circulaire. Cette forme, outre sa facilité de construction et la solidité de l’arrondi par rapport à la fragilité de l’angle, symbolise l’unité, le foyer, le ventre, l’oeuf. Elle découle aussi du rayonnement du feu central : on ne se dispose pas en carré autour d’un feu.
Les architectes me diront quand et pourquoi l’homme a construit des maisons carrées, et donc des angles vifs.
Restituer de la matière
En construction contemporaine, la perception du lisse est omniprésente : les immeubles de verre, les surfaces rigoureusement planes des cloisons (brique, carreaux de plâtre, placoplâtres, …) comme celles des plafonds. Il y a ainsi du lisse translucide voire transparent, et du lisse opaque.
Une surface totalement lisse et opaque produit une perte de repère totale si aucun élément de relief ne s’interpose, car en l’absence de contraste aucune perception tridimensionnelle n’est possible, donc aucune perspective. L’homme y perd l’équilibre, au sens figuré mais aussi au sens propre, ce dont les personnes âgées, dont la vision est altérée, nous donnent la preuve.
Une expérience que chacun a pu faire : s’allonger au sol en fixant un plafond parfaitement lisse, sans autre élément élément visuel dans le champ de vision : il est rapidement impossible de situer sa distance, le cerveau cherche désespérément, et dans cette quête il vous informe que … vous ne savez plus où vous êtes.
Là également, le lisse ne fait pas partie du monde naturel primitif. Il est apparu probablement avec l’invention du verre, car même la poterie avait du grain, à la fois visuel et haptique.
Les crépis sont déjà une réponse intéressante, car ils sont perçus comme un matériau naturel, de la terre, qui accroche la lumière, donc l’oeil. Ils ont un inconvénient majeur en termes d’entretien.
Si une matière, comme le crépi, est difficile à mettre en oeuvre sur une surface, il est possible de se rabattre sur les textures. Ce sont des dessins de taille réduite mais répétés à haute fréquence -car c’est le rythme qui induit la texture (GRM.1-1158)- sur une longueur ou une surface, qui restituent une double perception de relief et de toucher.
En cloisonnement de couloirs, donc avec un angle de vue majoritairement longitudinal, on peut imaginer à l’aide du jeu de la perspective et de l’éloignement, des motifs dessinés qui à distance -au bout du couloir- produisent une texture, et deviennent de près -vus de face- des graphismes ‘simples’.
Modifier la perspective
Les couloirs des bâtiments modernes sont aujourd’hui d’une longueur déroutante, avec une sensation désagréable de distance ou d’éloignement.
Pour la diminuer, il est possible de travailler sur la perception du rythme et sur l’évaluation des longueurs.
Le rythme est lui-même lié au mouvement (AJS.1-1098&1100), qui ouvre une gamme de signifiés tels que l’expansion (TCE.1-1291) et donc à l’inverse : la contraction. En matière de rythme visuel, on pense plus facilement à une forme, mais il y a aussi des rythmes de couleurs, de dimension, … (GRM.1-1172).
L’évaluation des longueurs repose soit sur une fonction normale de la perspective, soit sur une illusion d’optique.
Par ailleurs, le couloir, comme d’autres lieux, a aussi cette propriété fâcheuse d’être parcouru dans les deux sens : il faut donc penser l’effet réversible.
Dispositifs
Des baguettes verticales du sol au plafond disposées à intervalle régulier scandent l’espace visuel. Mais un mur de couloir n’est pas vu de face mais en quelque sorte longitudinalement. Si les intervalles sont variables, la perception de profondeur ou de longueur varie aussi : il faut espacer les baguettes de plus en plus en fonction de la distance.
Les leds miniaturisées sont intégrables à des baguettes lumineuses à deux faces, l’une éclairante, l’autre pas. Dans un sens donné, on peut ainsi moduler le nombre de baguette éclairante par mètre ou unité de distance. Dans l’autre sens, la fréquence des faces éclairantes est inversée. On a donc un effet réversible, avec un éclairage constant sur toute la longueur du couloir.
Longueurs
Un effet de perspective parfois classé comme illusion d’optique (Ponzo) non perturbante peut être utilisée également dans le même but. Il repose sur notre appréciation erronée des longueurs lorsque l’oeil perçoit une perspective dominante, ce qui est le cas d’un couloir qui est structuré par au moins quatre lignes de fuite. Respecter la réversibilité contraint à nouveau à utiliser des baguettes verticales à deux faces sur lesquelles il faudrait peindre des segments de plus en plus longs en fonction de la distance.
D’autres illusions non perturbantes peuvent être utilisées, notamment celles reposant sur notre évaluation des longueurs. Car même en l’absence de perspectives, il est possible de jouer sur l’inclinaison de segments de droite (Müller-Lyer) pour la modifier. On peut alors simuler des dimensions.
Réaliser des maquettes numériques permettra de se rendre compte des effets produits.
Jeux chromatiques et éclairage
Comme évoqué précédemment, une des premières préoccupations en matière de confort perceptuel pourrait être de savoir si l’environnement est souhaité naturel ou artificiel. La seule destination des lieux fréquentés peut déterminer ce choix : industriel, artisanal, service intellectuel, … . Pour l’habitation, le choix est plus personnel.
Plusieurs auteurs, coloristes ou non, préconisent l’usage de taches de couleur pour fixer l’attention. Les couleurs neutres, non stimulantes, sont supposées adaptées aux lieux où l’on est contraint de séjourner longtemps (hôpital), là où les teintes vives le sont pour des endroits où l’usager est plus actif (loisirs).
Il serait intéressant à titre expérimental de constituer deux lieux, réputés l’un naturel et l’autre artificiel, dont on étudie à la fois le chromatisme, le graphisme et l’aspect textural.
Puis réaliser un questionnaire pour sonder les perceptions des usagers sur le moyen terme. En réactions sur le vif, il faudrait évaluer la pertinence de paramètres physiologiques tels que ceux décrits par A.Damasio à propos des émotions : rythme cardiaque, sudation, etc, pour savoir si ces relevés donneraient des indices ‘objectifs’.
Naturel
On peut par exemple promouvoir un lieu naturel comme issu du monde naturel : un plafond bleu très pâle avec des dégradés de blanc, un sol alternant des couleurs de bruns, puis de verts. Aux murs ou en tant que mobilier, considérer si le bois naturel, le bois peint dans diverses teintes conservent ou non leur authenticité, par exemple pour savoir si la veine du bois (souvent visible sur le pin à cause des noeuds) prévaut sur sa couleur ou non.
D’un point de vue chromatique, on sait que l’usage de teintes saturées sur de grandes surfaces telles que des murs n’est pas souhaitable : elle sature les cônes rétiniens concernés sans apporter de réponse structurant l’espace et le relief. Comme énoncé plus haut, la couleur vaut surtout pour la création de contrastes.
La lumière naturelle est diffuse et omniprésente lorsque le ciel est voilé, et il serait intéressant de savoir si cette ambiance lumineuse dépourvue d’ombres franches est vécue positivement ou non. Lorsque le soleil brille, la source lumineuse est ponctuelle, et produit des ombres alignées, ce qui n’est pas réalisable avec des sources lumineuses proches. Une source unique dans un lieu meublé va en effet à la fois laisser trop d’ombres et non alignées, nous éloignant de la lumière solaire.
D’un point de vue neuro-cognitif, on sait que la perception du relief vertical à partir de l’ombrage est intégrée comme issue d’un éclairage zénithal.
La couleur des objets et des murs d’une pièce conditionne aussi notre perception du poids des objets (effet psychologique) et des dimensions relatives (effet optique physiologique).
Artificiel
Dans ces conditions, évaluer ce qu’est un lieu artificiel, et à quel type d’activité il est adapté. Par exemple, l’espace urbain d’aujourd’hui est peuplé de surfaces réfléchissantes.
Dans les quartiers d’affaires, en extérieur, l’oeil peut percevoir plusieurs reflets successifs, avant qu’un autre élément visuel ne ramène le cerveau à une perception de l’environnement réel.
En intérieur, les couleurs grises sont dites ‘de passage’, en principe caractéristiques de lieux où l’on ne reste pas. Mais on constate que cette couleur dans ses différentes nuances, celle du béton brut, du bitume, des métaux d’ameublement, se retrouve aussi dans le mobilier intérieur et les cloisonnements de plate-formes.
Eclairage diffus : la quasi généralité dans le monde des bureaux. Son avantage est évident : il minimise les ombres. Avec cette question déjà posée plus haut de savoir quels sont les signifiés d’une telle ambiance lumineuse, correspondant à un ciel naturel couvert.
Ce mode d’éclairage, s’il paraît rationnel, est combattu dès lors que l’on souhaite valoriser la couleur ou l’aspect de ce que l’on éclaire -également bien sur en raison du spectre très étroit desdites sources lumineuses. Pour exemples : les magasins de mode, les rayons fruits&légumes, etc …
Aspect graphique
Etudier la perception graphique est indissociable des points de vues fixes. Ce qui inclut l’éclairage, car si nous voyons en couleurs, la perception des lignes et formes résulte surtout de la qualité des contrastes, sur lesquels l’éclairage a une grande influence.
Selon la fréquentation d’un lieu, il conviendra de se préoccuper par exemple des altérations de la perception visuelle liée à l’âge, des déficiences visuelles dont certains symptômes concernent la déformation des lignes droites, ou des syndrômes dépressifs variés, sujets qui ont une perception altérée des couleurs et des contrastes, qu’il faut alors saturer et prononcer.
Gauche, droite, haut et bas ont des valeurs signifiées différentes. Evidemment les points de vue visuels fixes qui doivent être réversibles (couloirs) ne peuvent pas être tous symétriques. Ce ne serait même pas forcément souhaitable pour un bon repérage, typiquement on apprécie parfois de savoir dans quel sens on parcourt un couloir …
Réversible ou non, un point de vue visuel peut être graphiquement équilibré, d’une part du point de vue des angles produits par les lignes de fuite et les éléments architecturaux comme les escaliers apparents, les issues, d’autre part du point de vue des segments courbes, dont la dimension, l’orientation et la position fournissent toute une palette de signifiés, notamment dynamiques.
Un point important est donc de savoir au départ si l’on souhaite équilibrer les droites et les courbes.