Sensation – sémiotique – mémorisation
• Cet article a été jugé un peu trop technique par les premiers lecteurs : il est corrigé en conséquence.
En décrivant cet enchaînement a priori étrange, nous allons montrer qu’une analyse sémiotique étendue autorise une mesure qualitative d’un visuel plus complète qu’une étude consommateur.
Même si cette dernière inclut les questions différentielles qui permettent de recadrer des réponses falsifiées, la sémiotique, au sens large que nous allons évoquer, peut qualifier deux paramètres inaccessibles à l’étude conso : les signifiés non conscients (donc non rapportables verbalement) et la mémorisation (type, fonction et durée).
La sensation
La sensation visuelle démarre lorsque les rayons lumineux réfléchis par le support d’un visuel excitent les cellules sensibles rétiniennes, différentes dans la zone centrale (très réduite : la fovéa) et en périphérie.
Cette étape de la sensation est importante pour plusieurs raisons : outre le décalage des pics de sensibilité chromatique entre centre et périphérie de la rétine, l’acuité et la sensibilité aux contrastes (N/B et couleurs) y sont très différentes.
Selon le support et le lieu, ce qui est regardé au premier coup d’oeil, le plus important, diffère aussi. Les saccades oculaires successives peuvent bien sûr pallier une déficience de l’accroche, mais encore faut-il que l’attention du lecteur soit retenue par un élément ‘sensationnel’.
La perception
La perception commence ensuite, au sein même du cerveau dit ‘reptilien’, notamment par la notion de plaisir, immédiatement perçue émotionnellement par une voie neurale dite courte et très rapide (dérivation du nerf optique qui court-circuite les étapes de reconnaissance visuelle fine). Le signal visuel produit là des émotions que l’on qualifie de primaires (innées, donc inévitables et communes à l’humain). Leur intensité dépend de la qualité des contrastes transmis, et un certain nombre de réflexes de survie y interviennent -il y a donc déjà ici une reconnaissance ultra-rapide de la scène ou d’un objet (le bâton aperçu au sol est-il ou non un serpent ?).
Le nerf optique, nommé tractus après mélange stéréoscopique, atteint les aires visuelles primaires, où commencent les décodages de couleurs, et notamment l’orientation, donc les contours, préliminaires à l’identification des objets. C’est le lieu de la mémorisation perceptive, consciente ou non consciente.
C’est le premier point d’entrée de la sémiotique plastique, qui considère depuis le Groupe MU ces signes visuels comme porteurs de signifiés. Entre autres, le potentiel émotionnel d’un visuel est d’ores et déjà significatif à cet étape ; il est inévitable et très rapide.
L’identification
L’identification des éléments visuels perçus prélude à la reconnaissance des scènes dites ‘naturelles’, celle-ci très rapide. A cette fin, les signaux visuels ‘voyagent’ à travers les différentes aires du cortex (V1 à V5) où s’effectuent les reconnaissances des forme, orientation spatiale et mouvement. Noter que ce découpage, temporel pour l’exposé, n’exclut pas certains parallélismes. Des considérations de neurophysiologie de la vision sont ici importantes lorsque le contexte visuel est concurrentiel (linéaire de supermarché).
Contexte visuel et émotion sont deux paramètres fondateurs de la mémoire dite ‘épisodique’, celle de tous nos souvenirs personnels.
La cognition
La cognition commencerait ici, lieu de plusieurs interactions, d’une part entre les aires visuelles et différents cortex (cortex frontal et pré-frontal), d’autre part au sein même des aires visuelles où l’on sait que sont encodées (mémorisées) un catalogue d’images dites ‘mentales’, accessibles par reconstruction. L’ensemble de ces interactions neuronales est conscient lorsqu’un rebouclage des signaux visuels en entrée des aires visuelles est possible, et non-conscient sinon (cas probable des images subliminales).
La scène visuelle devient signifiante, son contenu peut alors intégrer la mémoire dite sémantique.
Nous arrivons ici dans l’univers de la sémiotique iconique, i.e. un signe visuel formant un tout, analogue à un élément connu -objet, animal, … . Chaque signe iconique stimule un réseau sémantique, et conformément à la Gestalt, leur ensemble n’est pas résumable aux parties : les interactions entre signes visuels contiennent leurs propres univers.
En mémorisation,
on sait aujourd’hui qu’une partie du traitement visuel effectivement réalisé par le cerveau n’atteint jamais la conscience, jusqu’à une grande profondeur de traitement, au minimum jusqu’à l’identification (un chien), peut-être même la catégorisation (un animal). Des études prouvent que ce ‘travail’ d’encodage non conscient peut se traduire par une attitude favorable à la marque ou au produit, en fonction des supports. Et ce phénomène est durable : la question de la mémorisation d’un visuel est tout sauf anodine !
L’analyse sémiotique : incontournable
A ma connaissance, une étude ‘consommateurs’ n’est pas capable de relater les interactions décrites ci-dessus, les unes non verbalisées car non conscientes, les autres mémorielles et temporelles, donc non rapportées par une telle étude : seule l’étude sémiotique permettra une exploration suffisamment minutieuse.
Un préliminaire d’étude de la sensation en amont de l’analyse sémiotique, pour préjuger de la qualité graphique contrastive, et une prospective mémorielle en aval, évaluant la portée temporelle, ajoutent à une telle étude sémiotique stricto sensu une mesure qualitative du visuel : c’est ce que j’appelle l’ Analyse Visuelle Opérationnelle (AVO).
Pour mieux situer l’ AVO par rapport aux cycles et outils de support de la création visuelle, lire : La vie après le visuel.